Expédition vers le glacier d’Otemma
4 jours au pied d’un glacier Suisse :
marche, relevés météo, drone et photographie
Découverte de la cryosphère et du monde de haute montagne avant 3 semaines dans le massif du Karakoram au Pakistan en août.
Arrivée à Mauvoisin
Il est 23 h 30 lorsque j'embarque à bord d’un bus à destination de Genève, qui me conduit à bon port après 7 heures de trajet, peu après le lever du soleil. Je quitte enfin mon siège pour en gagner un autre, dans un train partant de Genève pour rejoindre Alexander Groos, glaciologue à l’université de Nuremberg et Ann Christin Kogel, étudiante en licence à l’université de Bonn. Je me rends avec eux dans le sud Ouest de la Suisse pour une campagne de relevés sur un glacier. Nous arrivons ensuite dans un village de la vallée de Bagnes où Thomas Shaw vient nous chercher en voiture vers le point de départ de notre marche. Thomas, plein d'énergie et le regard pétillant sort du véhicule sur lequel on peut lire WSL Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage. Il est un chercheur anglais vivant en suisse depuis quelques années, spécialisé en glaciologie et en hydrologie de haute montagne. Le projet qui nous amène et dont Thomas fait partie s'appelle TEMPEST (Global Air TEMPerature ESTimation on High Mountain Glaciers).
Si les processus de fonte de glacier sont bien connus, les conditions météorologiques complexes prenant place à la surface des glaciers, à l’évolution rapide sur quelques heures sont méconnues à une échelle fine, autant spatialement que temporellement. Ainsi, Thomas veut étudier 3 glaciers de la région en les dotant de stations météorologiques et de balises d'ablations (mètres témoins de la fonte d'un glacier). Celui que nous allons étudier est le glacier d'Otemma, tout proche de la frontière avec l'Italie. Il atteint les 3800 mètres d'altitude à son point le plus haut et fait 16km² pour 8 km de long ce qui en fait un glacier de bonne taille pour la région. Mon nouveau compagnon de route, Alexander, se charge lui d'amener deux drones monoplans de grande taille mais relativement légers, dotés d'un petit moteur à hélice et de capteurs thermiques, d'humidité et de vitesse du vent, qui apporteront des données supplémentaires et utiles à la compréhension de l'atmosphère au dessus du glacier et comment elle peut changer au cours de la journée.
En plus de Thomas, nous rencontrons d'autres spécialistes des milieux glaciaires que je retrouve au point de rendez vous, un hôtel écrasé par les dimensions colossales du barrage de Mauvoisin situé un peu plus loin derrière, arrière plan de notre départ. Je rencontre Michael McCarthy chercheur au WSL et Marta Corrà, étudiante en master à Berne tous deux vivant également en Suisse et aussi passionnés par la montagne et les glaciers que leurs collègues dont je suis accompagné. Nous mangeons un morceau ensemble, faisons connaissance et nous attelons aux derniers préparatifs où nous vérifions nos sacs et tentons de répartir les équipements, outils et denrées alimentaires entre nous selon leur poids. Je m'en sors avec un sac d'une vingtaine de kilos, un poids considérable pour quelqu'un qui ne va que très rarement en montagne pour camper. Malgré cela, ma motivation et ma soif d’aventures me rendent optimiste. L'équipe se met en route, le chemin commence et mon corps se met tout de suite en alerte : le poids du sac conjugué à la chaleur de juillet à ces quelques 1700 mètres d'altitude en plus du dénivelé important pour arriver jusqu'au pied du barrage rendent les trois cent mètres très éprouvants, le temps que j'ajuste le sac, et m'habitue au rythme. Malgré cela, la route offre des vues impressionnantes, à commencer par les pins perchés sur des pitons rocheux avec en fond une toile texture et couleur béton, celle du barrage qui se dresse droit devant et auquel nous accédons par un réseau de tunnel humides et frais -une fraîcheur bienvenue-.
Les pentes sont raides, nos silhouettes courbées, nos sacs gros et pesants, et les faibles lumières le long du conduit obscur m'évoquent une procession de mineurs. A la sortie, nous arrivons au niveau du lac de retenue, une eau à la couleur turquoise, à la texture opaque, dont la surface est parfaitement lisse, imperturbée par la dizaine de cascades à la puissance véhémentes qui s'y jettent. Au cours des quatre kilomètres que fait le lac en longueur, j'ai tout le loisir de discuter avec les membre de l'expédition et d'admirer les façades montagneuses aux roches nues et stériles qui ont toujours sur moi un pouvoir envoûtant lorsque je les observe depuis un paysage encore verdoyant et fleuri. A la fin du lac, là où la vallée se rétrécit nettement, les choses sérieuses commencent puisque le gros de l'ascension commence sur une distance relativement courte et un pente très raide. Ce sont 5 longs kilomètres où chaque pas me fait ressentir l’envie de laisser mon sac par terre et m'arrêter mais le rythme de mes coéquipier me poussent à mettre un pas devant le l'autre, même si mes épaules, ma nuque, le bas de mon dos et mes jambes luttent à chaque mètre. En écrivant ces lignes, j'ai un souvenir confus de ce moment, j'ai du mal à me rappeler précisément de mes pensées et mes réflexions : je crois que toute mon énergie allait à mes muscles et que mon cerveau à défaut d'enregistrer des souvenirs, commandait ma motricité et mon rythme cardiaque.
Après cette ereintante ascension, nous voyons le paysage changer : nous entrons dans l'étage nival -après l’étage alpin-, avec ses roches nues, ses lichens et quelques rares plantes rases abritées au creux de rochers aux formes impitoyable, des blocs de pierre aux faces malmenées, tourmentées, griffées par le vent le froid et la neige en hiver. Certains rochers sont mêmes fendus en deux, en trois, par une cassure nette, œuvre de l’eau qui s’y infiltre, gèle une fois l’hiver venu et fait enfin éclater les pierres. Une des nombreuses formes d’érosion en montagne, sans doutes ma préférée. Encore quelques centaines de mètres de progression dans ce canyon gris où coule avec rapidité et fracas une eau beige en contrebas. Encore quelques centaines de mètres et mes coéquipiers m'annoncent avec joie voir les tentes au loin. Soulagé par la nouvelle, je ralentis le pas et prends quelques photos de cet endroit si nouveau pour moi avant que les ténèbres naissantes du ciel n'engloutissent avec elle ce paysage pour aujourd'hui. Mes derniers pas ont une saveur de salvation et j'élis immédiatement domicile dans une des petites tentes du camp du base en y balançant mon sac, déroulant matelas et duvet, après m'être déchaussé pour ne pas salir ce qui sera mon chez moi pour les quatre prochains jours. Un orage violent éclate, pour mon plus grand plaisir, la pluie tombe sans retenue. Le temps restera très instable encore une journée.
Stations météo et ascension du glacier
Le deuxième jour commence et à part Alexander, Mike et Thomas qui emportent avec eux les stations météos démontées dans leur sac pour les amener au début du glacier, nous restons au camp pour nous reposer un peu et prendre connaissance de l'endroit. Le glacier se trouve en ligne directe devant nous, si bien que je peux après quelques minutes distinguer trois silhouettes dans cette palette de gris, dans ce paysage aux dimensions simplement énormes (photo ci-contre)
Les glaciers peuvent être couverts de débris à des degrés variables. Si celui ci est relativement “propre”, certains glaciers sont presque totalement ensevelis sous des dizaines de centimètres de roches et de gravas. A défaut de correspondre à l’image traditionnelle que l’on se fait des glaciers, blancs, purs et lisses, les roches et débris créent une formidable isolation thermique ce qui peut considérablement ralentir ou même stopper leur fonte. En revanche, une trop faible épaisseur de débris est plus susceptible d’accélérer la fonte puisque les roches, par leur propriétés thermiques, absorbent les rayonnement infrarouges, la chaleur, qui est ensuite transmise à la glace.
Dans le camp, nous avons nos tentes oranges pour dormir et un peu plus loin une tente principale pour cuisiner, C’est notre repaire. Nous nous y retrouvons pour manger, pour discuter, par exemple d'alpinisme que certains dans le groupe pratique, des études menées sur les glaciers, de l’organisation de nos journées et des tâches à mener ou bien tout simplement pour discuter de tout et de rien. Je découvre la vie dans un camp de base où les ressources sont précieuses, de l'eau au gaz en passant par les barres de céréales très utiles pour les jours de marche. C'est une préparation bienvenue en perspective des 3 semaines que je vais passer un mois plus tard au Pakistan dans des conditions sans doutes plus rudes et étant encore plus éloigné des lieux habités. Lorsqu'ils reviennent l'après midi, en toute hâte après qu'une grosse averse eut éclaté dans la vallée, nous nous réunissons à la tente principale et faisons à manger tous ensemble, jusqu'à ce que deux nouveaux membres, deux doctorants français en glaciologie, ne nous rejoignent. Marin et Achille se connaissent bien et ce dernier nous raconte revenir du Tadjikistan où il nous parle, comme pour nous permettre de relativiser, de ses trois semaines en montagne qui ont été une succession de pluie et de jours froids. Quand je leur demande s’ils sont aussi participants au projet TEMPEST, ils me disent qu’ils viennent avant tout pour le fun. J’aime cet esprit.
L’idée est de comprendre en détail les conditions météos à la surface du glacier. A titre d’exemple, la formation de vents catabatiques, causés par le refroidissement de l'air en contact avec la surface du glacier peut modifier la température en surface du glacier, particulièrement en aval, et par conséquent la fonte. Ces modifications de température sont à ce jour difficiles à modéliser et requiert l'utilisation de stations in-situ.
L'endroit choisi pour la plus haute station météo sur ce glacier, à 3100 mètres, offre une vue impressionnantes avec des pics qui nous dominent, dessinant les limites de ce grand plateau blanc sur lequel nous nous tenons humblement, cherchant dans un effort scientifiques à comprendre la nature et mesurer ce qui peut être mesuré, rendre mesurable ce qui peut l'être. Là où nous tenons, le glacier fait probablement plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Ici, la fonte semble moins prononcée, contrairement aux zones d’altitude moins élevées où l’on voit des torrents de surface qui finissent par s’enfoncer à travers le manteau de glace et rejoindre le courant supra glacier, un cours d’eau coulant sous le glacier. Là où nous sommes, la glace semble se maintenir
Le troisième jour, nous rejoignons Alexander et Thomas à la première station météo, au début du glacier puis poursuivons notre route sans eux, qui resteront là à faire voler le drone. Notre travail sera de transporter avec nous les pièces de stations météos que nous assemblerons à divers points en montant progressivement jusqu'au sommet du glacier. Le paysage change peu mais j'observe des caractéristiques typiques des glaciers : crevasses, moraines, moulins, petits torrents de surface et enfin le plus curieux, de grosses roches surélevées de parfois presque un mètre, tenant sur une colonne de glace qui a été épargnée de la fonte par l'effet isolant de la roche dont elle finit par devenir le piédestal. Peu à peu nous nous délestons des bâtons métalliques et capteurs pour les assembler à chaque point, jusqu'au sommet où se tiendra une station plus élaborée, comme la première, pour des relevés météorologiques pour des relevés météorologiques plus complets.
Je redescends accompagné d'Ann Christin tandis que les autres partent devant nous pour mettre une station à mi-chemin, en hauteur sur le flanc rocheux de la vallée, permettant d’avoir des relevés de comparaison vis à vis du glacier. Nous commençons donc à faire le chemin inverse, munis d'un GPS et d'un mètre pour mesurer les balises d'ablations, qui sont plantés à un moment donné et mesurés plus tard quand la glace dans laquelle ils étaient enfoncés à fondu. Un mètre, deux mètres, parfois quatre mètres de fonte en hauteur alors que nous progressons vers le bas du glacier. La fonte en été est naturelle : cela fait partie du cycle des glaciers. En descendant, à partir d’une certaine altitude, l’apport de neige l’hiver ne compense pas la fonte l’été et on parle donc de ligne d’équilibre. Le problème est que cette ligne d’équilibre tend à grimper en altitude pour tous les glaciers, jusqu’au point où ils ne gagnent plus du tout de glace pendant l’hiver. Nous finissons par croiser en descendant Thomas et Alexander qui nous racontent une journée "éprouvante" pour les vols de drone, du fait du vents froids toute la journée et de dysfonctionnement du matériel. Après cet échange, de retour au camp, nous savourons chacun lors du repas une canette de bière en guise de récompense après cette dure journée. Le temps n'est pas au beau fixe, mais c'est un moment lumineux et précieux.
Haute voltige
Lors du troisième jour, Alexander, Ann Christin, Marta et moi même allons faire voler le drone une fois par heure de 10 heures à 18 heures. Nous partons le matin avec une belle journée de prévue et nous mettons directement au travail, où l'idée est d'accrocher dans la glace une vis à laquelle nous tendons un élastique, qui une fois tendu est relié au drone. Il ne reste plus qu'à tenir le droit du bout de ses bras, le lâcher pour qu'une autre personne n'active les gaz via la télécommande au même moment pour permettre à l'engin de s'envoler. Une fois en l’air, Alexander garde un oeil sur l'aéronef qui décrit une spirale dans le ciel en s'élevant à plus de trois mille mètres puis redescend, en spirale aussi au dessus des zones de "débris" les zones du glacier recouvertes de graviers et roches tombées des flancs de la vallée. Une autre personne remplit une fiche de note et observe en direct les données sur l’écran de l’ordinateur. Ces données permettront d'établir un profil de l'atmosphère au dessus de la glace nue et au dessus des rochers selon l'heure de la journée, sachant que les vents changent parfois de sens après plusieurs heures, ou bien cessent tout bonnement de souffler.
Après une journée à apprécier entre deux vols de drone les formes méditatives que prennent la glace, les montagnes et les roches en équilibre sur leur piédestal gelé, nous rentrons vers le camp et je fais quelques dernières photos pour saisir la beauté des tons pastel de la glace et la beauté de la flore qui pousse parmi des rochers aux textures riches. La soirée prend des airs de banquet où nous finissons toute la nourriture. Puis vient fatidiquement le moment où nous nous disons au revoir : nous partons à des heures différentes et ne nous reverrons pas le lendemain. Je suis reconnaissant d'avoir pu être là, avoir pu rencontrer ces personnes qui m'ont appris quantités de choses sur les glaciers, ces personnes qui m'ont partagé leur lien scientifique, presque gnostique mais aussi émotionnel avec la montagne et ce monde hivernal, rude et si pur. Après une nuit agitée, je me réveille à l'aube pour lever le camp en laissant ma tente derrière moi et commence à redescendre dans le monde des hommes où une longue successions de bus, de trains, covoiturages et voiture m'amènent chez moi. En arrivant j’ai comme consolation d'avoir quelqu'un à qui raconter mes quatre jours, une chance de revivre cette expérience en somme.
Je tiens à remercier tous les membres de l'équipe avec lesquels j'ai partagé ces jours mémorables et en particulier Alexander Groos qui a rendu tout cela possible pour moi, sans compter son soutien et sa gentillesse.