Les grandes cultures
Explorons ici l’activité des agriculteurs des “grandes cultures” dans la Somme, où les “règles du jeu” de l’agriculture, activité millénaire s’il en est, ont été révolutionnées, où la géographie, les normes et les échelles qui ont conditionné et façonné le travail de la terre depuis des temps immémoriaux ont été étirées dans des proportions que je peine encore à saisir. Un monde aussi fascinant, que changeant, restant en phase avec la modernité de nos sociétés contemporaines
Ce qui me frappe le plus en explorant ces paysages encore nouveaux pour moi sont les dimensions des champs et la technicité des cultures. Remettons les choses en perspectives, j’ai grandi en Bretagne, région de bocage et d’élevage aux sols de fertilité moyenne, tandis que les plateaux Picards, aux sols extrêmement fertiles sont exploités intensivement pour y produire des cultures céréalières (orge, blé), racinaires (pommes de terre, betterave sucrière, carotte) ou encore du colza et des pois. Les haies d’arbres entre les parcelles ou au bord de la route ainsi que les fossés où prolifèrent les fougères n’existent pas ici, l’espace est plus monospécifique, on imagine la nécessité de pousser les rendement pour nourrir une machine de 67 millions d’habitants
Cette vue aérienne m’évoque une nature sauvage, mais peu exploitable pour nous, prenant la forme d’une arche de Noé -pleine d’espèces végétales- fendant les vagues d’un autre monde, végétal aussi mais vivant à un rythme différent, une armée d’une seule espèce, changeant totalement chaque année, légions de plantes poussant en sillons, formant des vagues que traverse ce navire d’herbes et d’arbustes.
Je trouve un certain repos dans ces paysage tracés au cordeau, ou plutôt par tracteur guidé au GPS, où les buttes de terre bien tassées et destinées à accueillir des pommes de terre m’évoquent les motifs d’un jardin sec japonais.
De l’importance du sol
Une phrase m’a frappé les nombreuses fois où j’ai parlé du paysage agricole avec les gens. Il m’est en effet arrivé de demander si l’on trouvait des verger ou des maraîchages dans la région, ce à quoi on me répondait “Non, les terres sont trop bonnes pour ça”. Je trouve cette réponse fascinante : généralement, la contrainte géographique physique (températures trop basses, trop hautes, climat trop sec, etc.) limite le nombre d’activités de production réalisable, on doit donc par défaut choisir la plus profitable et la plus réalisable en même temps. Ici, c’est l’opposé : la limite est vers le haut, toutes les conditions sont réunies pour de nombreux types de culture, mais le sol et la géographie conditionne plus que tout ce qu’on y fera pousser : ce sera des grandes cultures, car faire pousser n’importe quoi d’autre serait “gâcher” ces terres si fertiles.
Dans un champ, loin de la route principale, je rencontre M. Carpentier qui pulvérise de l'azote, un fertilisant, pour un blé en souffrance à cause de la sécheresse qui sévit ce mois de mai. Agriculteur dans le village voisin depuis toujours, comme son père, comme son grand père, son arrière grand père et sans doute plus loin encore. Je le comprends donc quand il me dit que “C’est de la terre qu’il y a dans mes veines, pas du sang ! "
Il fournit une quantité de travail considérable dans les champs toute la semaine, sans parler de la comptabilité, qui est le lot de la plupart des agriculteurs aujourd'hui, mais il ne semble pas en tenir trop rigueur, c’est comme ça. Cette charge de travail peu commune aujourd’hui est la raison pour laquelle ses enfants ne veulent pas lui succéder, me dit-il. Notre société de service où chacun préfère gagner sa vie en travaillant dans un bureau et où la nourriture est plus abordable et abondante que jamais auparavant font du métier d'agriculteur, surtout ici, un métier solitaire où un homme seul s'occupe de plusieurs dizaines d'hectare, aux commandes de son tracteur, avec ses outils et où les perspectives d’enrichissement sont parfois minces. Avec ses 100 hectares, ce qui fait de lui un "petit" selon les standards locaux, il cultive les cultures typiques de la région et m'énumère avec fierté ce qui pousse en ce moment dans ses parcelles.
Les paysages de grandes cultures sont pour moi des “espaces quantiques” : on passe -en voiture le plus souvent et surtout pas à pied- d’un village à un autre, puisque les hameaux sont très rares que les villes sont compactes et éloignées entre elles. Ainsi, on fait des “bonds” entre villages, sans s’arrêter entre les deux. Dans cet espace interurbain, on ne croise ni piéton, ni promeneur, quelques rares cyclistes certes mais surtout des gens allant d’un point A à un point B, de manière rapide et efficace qui voyagent le long d’axes routiers denses où des procession de semi remorques défilent ; nous sommes entre Paris, les grands ports de la Manche et ceux des Pays-Bas, et l’Allemagne à l’Est. Les seuls à véritablement investir l’espace sont les agriculteurs, comme s’ils avaient su prendre parti de cette niche écologique vide, délaissée de tous, pour y faire passer leurs puissants tracteurs et faire naître la vie sur ces étendues rases.
En conduisant sur ces longues routes, le paysage paraît plus “lisible” qu’ailleurs : la quasi absence de haies et le très faible nombre de bois permet de voir au loin depuis mes 1,85 m seulement, d’identifier tel ou tel village selon le clocher qui domine des centaines d’hectares de plaines cultivées, où de repérer le cours de la Somme qui fait figure de jungle dans le département. La lisibilité presque cartographique de ce paysage agricole ravit le géographe en moi mais certainement pas l’amateur de paysage mystérieusement poétique.
Phytosanitary products are substances, synthetically made in the case of large scale farming, meant to protect crop plants from various threats such as insects, diseases or fungi that used to plague food production in the past. But they also prevent adventitious flora from growing : plants are in an eternal competition between each other. Unwanted plant takes light, soil nutrients and space from wheat, colza or barley. Phytosanitary products have become an absolute necessity for farmers as it allows them to get a bigger yield and making more money from their land and be safe from most diseases and ensure a good yield. Not using products to get rid of unwanted plants would mean using tractors more to weed mechanically, but their engines eat up about 40 litres of fuel per hour. There is no such thing as a “perfect” choice, it’s about making a compromise and farmers will choose the option that will save them some labour. The counterpart of these products, or the negative externality we could say, stemming from their use is the heavy toll on wild life, especially insects which are a fundamental brick of the trophic network, the food web. Farmers themselves suffer from these product as they have a higher chance of developping lymphoma, leukemia or prostate cancer, compared to the rest of the population.
The progress made in chemistry during the twentieth century have made possible unprecedented yields in humankind history, with phytosanitary products, but also fertilizers, allowing to harvest more on good soils but also on soil which could not be farmed before, lacking only the organic elements to be good, fertile farming lands. This allowed a revolution in the geography of some region like the Marne in France who never specialized in agriculture in history but is now a major agricultural producer with huge crops.
Even the byproducts of oil industry are used to produce some fertlizers that we call “synthetic fertilizers”. The other major type of fertilizer in this large scale farming is the “Mineral” fertilizer. Both are made from non renewable resources and our global food system is dependent on them. Minerals used for the fertilizers are extracted in many countries, and processed in a globalised manner too.
Lorsque je rencontre les agriculteurs, je peux sentir leur fierté, à juste titre, lorsqu’ils parlent de leur terres, leurs cultures, leur métier en général, un métiers des plus nobles je trouve. C’est plus qu’un métier, c’est un héritage culturel et ancestral.
Mais ce qui me frappe, c'est à quel point l'agriculture, activité profondément ancré dans le sol, le terroir, passionnément terrestre et concrète, dépendante de toutes sortes de condition météorologiques, des insectes, des maladies ou à long terme, de l'état du sol, mais qui pourtant, de l'autre côté, est aussi devenue dépendante de facteurs internationaux, très variables comme le prix de l'essence hautement volatil, le cours boursier des denrées, guerres à l'autre bout du monde ou politiques agricoles européennes. Ce paradoxe est aussi intéressant que préoccupant
Création récentes à l'échelle de l'histoire, les grandes cultures, et l'agriculture en général d'ailleurs, s'est fortement technicisée depuis le siècle dernier : des outils très pointus, des concepts scientifiques poussés, une science du sol et le recours aux intrants ou traitement, un aspect financier plus complexe, pour finalement être en phase avec le monde moderne, rester compétitive et productive, et répondre aux besoins gargantuesques d'une société tertiarisée, une société de bureau où peu veulent faire ce métier.
Si cette société de service peut plus ou moins s'affranchir du sol pour un temps, vivre hors-sol en somme, l'agriculture, elle, ne le peut certainement pas et le décalage entre société et agriculture ne fait que créer des risques à mesure qu'il grandit
Les grosses machines me font penser à des monstres au repos, craignant la lumière, attendant dans l’ombre une saison des récoltes arrivant à grand pas pour faire rugir leurs moteurs
Dans un petit village calme je rencontre un agriculteur très sympathique dans la cour de sa ferme, un beau corps de ferme en brique reconstruit après la guerre avec grande maison, hangars, greniers et garage pour gérer 150 hectares de terre. J’ai droit à un tour dans le bâtiment et une présentation des machines. Deux tracteurs pour travailler en binôme lors des gros travaux d’été, les semoirs adaptés à différents type de cultures, la bineuse -ou nous découvrons ensemble un nid rempli d’œufs verts-, la charrue et d’autres outils encore. Il est fier de me montrer sa belle bâtisse en briques et ses terres, avec notamment une parcelle de lin qu’il me montre en expliquant que la production sera vendue à une firme belge pour être ensuite envoyée en chine, où la fibre travaillée sera tissée, pour enfin faire revenir le textile ou les vêtements finis en Europe où ils seront vendus. Bizarrerie de notre temps.